Alimentation, nutrition et microbiote intestinal : mieux comprendre pour mieux choisir L’alimentation et la nutrition sont des sujets d’actualité qui suscitent leur lot de controverses et de questionnements. Faut-il adopter un type de diète particulier ou plutôt miser sur de saines habitudes de vie ? Quels aliments éviter, ou plutôt lesquels privilégier au quotidien ? Ce texte n’a pas pour but de moraliser, mais bien d’informer afin de permettre des choix alimentaires plus éclairés, sans tomber dans l’obsession des listes d’ingrédients. Le microbiote intestinal : une introduction essentielle Avant d’aborder la question des additifs alimentaires et de leurs effets potentiels sur la santé intestinale, il est important de comprendre ce qu’est le microbiote intestinal. Le microbiote intestinal désigne l’ensemble des micro-organismes qui peuplent notre tractus gastro-intestinal. Il s’agit d’un écosystème complexe composé de bactéries, virus, levures, champignons et même de parasites, tous cohabitant au sein de nos intestins. Avoir un microbiote en santé ne signifie pas l’absence d’organismes potentiellement pathogènes, mais plutôt un équilibre entre les micro-organismes bénéfiques et ceux qui le sont moins. Cet équilibre est fragile et peut être influencé par plusieurs facteurs : l’alimentation, la prise de médicaments (notamment les antibiotiques), l’environnement, l’âge ou encore l’état de santé général. Aliments transformés, additifs et microbiote : un lien à explorer Aujourd’hui, nous avons un accès facile à une grande variété d’aliments transformés et ultra-transformés. Bien qu’ils puissent simplifier le quotidien, ces produits contiennent souvent de longues listes d’ingrédients, parfois difficiles à déchiffrer. Certains de ces composants, en particulier les additifs alimentaires, pourraient avoir une influence sur la composition du microbiote intestinal. Les additifs sont utilisés dans les aliments pour en prolonger la conservation, en améliorer la texture, le goût ou encore l’apparence. Parmi eux, on retrouve : -Les émulsifiants (comme la carboxyméthylcellulose (CMC) ou la lécithine), -Les colorants (comme le rouge allura, la tartrazine (jaune)), -Les agents de texture (comme la maltodextrine ou le polysorbate 80), -Et les édulcorants artificiels, utilisés pour ajouter un goût sucré sans ajouter de calories. Quand les additifs alimentaires perturbent l’équilibre intestinal Les recherches récentes s’accordent à dire que certains additifs peuvent avoir un impact significatif sur le microbiote intestinal, parfois dès une consommation à court terme. Les émulsifiants : un effet direct sur le microbiote intestinal Une étude menée en 2022 par Chassaing et al. s’est penchée sur les effets du CMC, un émulsifiant couramment utilisé dans les aliments transformés. L’étude, menée chez l’humain, a montré que l’ingestion à court terme de CMC pouvait : Réduire la diversité bactérienne, Faire diminuer des bactéries bénéfiques comme Faecalibacterium prausnitzii, Appauvrir le métabolome intestinal, c’est-à-dire la production de molécules essentielles comme les acides gras à chaîne courte, qui jouent un rôle clé dans la santé digestive. Dans certains cas, les chercheurs ont aussi observé une infiltration de bactéries dans la couche protectrice du mucus intestinal, un signe d’un déséquilibre pouvant mener à l’inflammation. Additifs, édulcorants et produits d’hygiène : des perturbateurs du microbiote ? L’étude de Gerasimidis et ses collègues (2020), qui a évalué l’effet de plusieurs additifs et édulcorants sur le microbiote intestinal, n’a pas été menée directement chez des participants humains. Les chercheurs ont utilisé des échantillons de selles humaines en laboratoire, dans un modèle in vitro visant à simuler la fermentation intestinale. Les résultats sont donc intéressants et scientifiquement pertinents, mais doivent être interprétés avec prudence, car ce modèle ne reproduit pas les effets complexes d’un organisme vivant, comme l’immunité ou l’absorption des nutriments. L’étude a analysé l’impact de plusieurs composés, dont certains additifs alimentaires (comme le polysorbate-80, la maltodextrine), des édulcorants (aspartame, sucralose), ainsi que des produits ménagers (par exemple, du détergent à vaisselle). Les résultats ont montré : Une modification de la composition du microbiote avec, selon les cas, une hausse de bactéries potentiellement pathogènes (ex. : Escherichia/Shigella) et une baisse des bactéries bénéfiques (ex. : Faecalibacterium, Subdoligranulum). Une baisse de métabolites favorables, notamment le butyrate, un acide gras essentiel au bon fonctionnement intestinal. Des effets variables selon les substances : la stevia semble bénéfique pour la diversité, tandis que le sucralose et le cinnamaldéhyde (le cinnamaldéhyde est un composé aromatique naturel présent dans la cannelle, utilisé comme arôme, parfum, et pour ses propriétés antimicrobiennes) ont des effets perturbateurs. Et si on misait plutôt sur une alimentation qui nourrit le microbiote ? Heureusement, tout ne repose pas sur l’évitement. Plusieurs études (Moszak et al., Nova, Rinninella) montrent qu’une alimentation diversifiée et riche en fibres est l’un des meilleurs moyens de soutenir un microbiote sain. Les bonnes habitudes à adopter incluent : Manger une plus grande quantité de fibres provenant de sources alimentaires variés (fruits, légumes, légumineuses, grains entiers), Privilégier les bons gras (ex. : oméga-3, huile d’olive), Limiter les produits ultra-transformés riches en sucres ajoutés, en gras saturés et en additifs, Varier les sources de protéines, en incluant plus de protéines végétales, Intégrer des aliments fermentés comme le yaourt, le kéfir ou la choucroute. Certains régimes alimentaires comme le méditerranéen ou le végétarien sont associés à une meilleure diversité microbienne et à une production accrue de métabolites bénéfiques. En conclusion Les données scientifiques récentes soulignent que certains additifs peuvent déséquilibrer notre microbiote, parfois de manière rapide. Sans prôner une élimination totale, il semble utile de réduire la consommation d’aliments ultra-transformés et de favoriser les produits simples, riches en fibres et peu transformés. Comprendre l’impact des additifs sur le microbiote, c’est avant tout une invitation à mieux choisir – en pleine conscience et sans culpabilité. Références : 1. Chassaing et al. (2022) Randomized Controlled-Feeding Study of Dietary Emulsifier Carboxymethylcellulose Reveals Detrimental Impacts on the Gut Microbiota and Metabolome. Gastroenterology Mar;162(3):743-756. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34774538/ 2. Gerasimidis et al. (2020) The impact of food additives, artificial sweeteners and domestic hygiene products on the human gut microbiome and its fibre fermentation capacity. Eur J Nutr Oct;59(7):3213-3230. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31853641/ 3. Zangara et al. (2022) Maltodextrin Consumption Impairs the Intestinal Mucus Barrier and Accelerates Colitis Through Direct Actions on the Epithelium. Front Immunol Mar 14;13:841188. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35359925/ 4. Moszak et al. (2020) You Are What You Eat-The Relationship between Diet, Microbiota, and Metabolic Disorders-A Review. Nutrients Apr 15;12(4):1096. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32326604/ 5. Nova et al. (2022) The Influence of Dietary Factors on the Gut Microbiota. Microorganisms Jul 7;10(7):1368. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35889087/ 6. Rinninella et al. (2023) The role of diet in shaping human gut microbiota. Best Pract Res Clin Gastroenterol Feb-Mar;62-63:101828. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37094913/ 7. Ruiz-Ojeda et al. (2019) Effects of Sweeteners on the Gut Microbiota: A Review of Experimental Studies and Clinical Trials. Adv Nutr Jan 1;10(suppl_1):S31-S48. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30721958/